Voici le dernier volet de cette série sur l’impact des casques de réalité virtuelle sur les industries des loisirs et du divertissement. Cet article est consacré aux spectacles.
La promesse d’un spectacle vivant, qu’il s’agisse du théâtre, d’un concert, d’un spectacle de rue, de danse, etc., c’est de faire vivre à ses spectateurs une expérience unique, qui se tient à un moment et en un lieu précis, en présence des artistes, dans la tension de l’instant vécu en direct, ouvert à l’imprévu, à la surprise, à l’inconnu, malgré un déroulement a priori répété et qui se répétera. C’est donc la promesse d’une émotion unique liée à tous ces facteurs.
La contrepartie de cette promesse, c’est que tout le monde ne peut pas assister à cet événement. Tout le monde ne peut pas être présent en ce lieu, à cet instant.
Heureusement, des solutions existent pour contourner ce problème. La captation audio ou vidéo retransmise en direct à la radio, à la télévision ou sur le web, permet à ceux qui ne peuvent être présents sur place d’assister malgré tout au spectacle à distance.
Et pour ceux qui ne sont ni présents sur place, ni disponibles au moment de l’événement, l’enregistrement de la captation en « disque » live, en vidéo de spectacle, etc. leur permet de regarder ou d’écouter le spectacle autant de fois qu’ils le veulent après l’événement. Pour ceux qui étaient au spectacle, c’est aussi l’opportunité de revivre ce moment autant de fois qu’ils le veulent.
Que peut donc apporter la réalité virtuelle à un tel dispositif ? En isolant l’utilisateur du monde qui l’entoure, ne produit-elle pas l’inverse du résultat recherché lors de la participation à un spectacle ? Elle paraît en tout cas contraire à l’expérience que l’on recherche en voulant vivre le spectacle sur place, en live. Et pour la retransmission à distance ou différée : a-t-elle un intérêt ?
En fait, la réalité virtuelle a ses propres atouts : ils tiennent principalement au format immersif, qui a pour effet de créer un frisson et une émotion spécifiques, au point de pouvoir produire un sentiment de réalité de l’expérience vécue, c’est-à-dire donner l’illusion que le spectacle que l’on est en train de regarder se déroule réellement, en ce moment devant nous.
C’est donc en espérant profiter de ces bénéfices que se mettent en place depuis plusieurs mois des captations de spectacles en vidéo 360°. Evidemment la diffusion de ces captations est en immense majorité pensée pour une consommation individuelle des particuliers à domicile ou sur leur smartphone. Le marché potentiel est énorme et justifie pleinement cet objectif. Il se heurte cependant à quelques obstacles, déjà évoqués dans les précédents articles de cette série : le faible taux d’équipement actuel des particuliers, la qualité perfectible des appareils et des contenus, etc. D’où l’idée poursuivie dans cette série d’articles d’étudier les dispositifs de type BtoBtoC ou intermédiés, qui seraient proposés aux consommateurs.
Le secteur des spectacles est sans conteste, avec celui du fitness, l’un des deux secteurs les moins développé des 5 secteurs étudiés dans cette série. Des expériences originales et osées se mettent cependant en place qui méritent qu’on s’y arrête.
Diffusion après coup
Tout d’abord, la réalité virtuelle permet une diffusion après coup, dans des conditions d’immersion plus fortes que le visionnage à la télévision ou sur le web.
De plus en plus de spectacles sont filmés en réalité virtuelle :
- Un concert de Paul Mc Cartney
- La comédie musicale Le Roi lion
- Un spectacle de Blanca Li
- Adelaide Symphony Orchestra
- London Symphony Orchestra
- La 9ème symphonie de Beethoven, par l’Orchestra Wellington
- Le concert du Prix Nobel de la Paix
- Le festival Tomorrowland
- Kasabian
- Robbie Williams
- Le Cirque du Soleil : Zarkana, Kurios, O.
Et ça n’est qu’un tout petit échantillon ! De nombreux concerts sont aussi filmés par des fans : ACDC, Coldplay… Il y a donc un réservoir de plus en plus important pour des visionnages en différé. Mais la plupart de ces captations sont faites dans l’objectif d’un visionnage à domicile. Toujours avec la même promesse : « Assistez au concert de Lady Gaga depuis votre canapé, comme si vous étiez aux premières loges ! »
Mais certains ne se content pas de ce mode de diffusion purement BtoC et organisent des retransmissions en différé dans des lieux prévus spécifiquement pour cela.
C’est le cas par exemple des Unexpected Concerts, qui ont eu lieu à Euralille, du 24 au 28 mai 2016, puis au centre commercial Rosny 2, en région parisienne, du 8 au 17 juillet, et enfin au Forum des halles.
Cet événement gratuit a permis à plusieurs centaines de spectateurs de revivre en réalité virtuelle, à distance et en différé, un concert privé donné initialement par Yaël Naïm le 12 avril 2016, au Réservoir à Paris devant 200 fans. Le dispositif comportait un stand aménagé pour recevoir 25 spectateurs en même temps. Ceux-ci sont assis et équipés d’un casque de réalité virtuelle Samsung Gear VR et d’un casque audio.
D’après les participants, la qualité du son était très bonne (son binaural), la qualité visuelle améliorable.
Une autre expérience du même ordre mérite d’être citée. Il s’agit du Los Angeles Philharmonic Orchestra, dirigé par Gustavo Dudamel, qui a enregistré les 4 mins de l’ouverture de la cinquième symphonie de Beethoven au Walt Disney Concert Hall lors d’une séance filmée en vidéo 360° avec des caméras GoPro et un son binaural.
Mais le plus intéressant, c’est que l’institution n’a pas voulu se contenter de la captation et laisser les spectateurs consulter la vidéo depuis chez eux. Elle a aussi imaginé un dispositif de retransmission qui vise à recréer au plus près l’expérience vécue sur place par les spectateurs dans la salle de concert. Pour cela, elle a aménagé un camion, appelé avec humour pour l’occasion VAN Beethoven, dans lequel l’aménagement de la salle a été reproduit : photo de la scène, parois en bois clair, moquette et sièges originaux en provenance de la salle. Les deux seules différences avec l’expérience réelle étant l’absence de l’orchestre et des autres spectateurs. Car quelques sièges seulement sont disponibles, pour vivre une expérience réellement premium !
Ainsi aménagé, le VAN Beethoven a sillonné festivals, parcs et musées de Los Angeles entre le 11 septembre et le 18 octobre 2015.
Pour une consultation chez soi, le concert est également disponible via l’application Orchestra VR pour Oculus Rift et Samsung Gear VR.
Diffusion en direct
De plus en plus de spectacles sont filmés en vidéo 360° pour une diffusion live :
- L’émission de télévision La Nouvelle Star
- Un concert de Björk
- Le festival de Coachella
- Un concert de DNCE
- Le festival Mysteryland
- Etc.
Le premier semestre a également vu se multiplier les annonces marquant la volonté des sociétés de production de spectacles de filmer et diffuser les concerts en vidéo 360° live :
- Live Nation a signé un accord avec la startup Next VR dans cet objectif
- Universal a signé un accord avec iHeartMedia dans le même but
- Rhapsody VR propose un service de streaming de concerts en réalité virtuelle
Là encore, la plupart de ses tournages et diffusion sont faits pour des visionnages à domicile par les particuliers, car le marché potentiel est énorme. Mais on pourrait aussi imaginer des dispositifs où les gens se déplaceraient dans des salles qui retransmettraient ces spectacles en réalité virtuelle en direct mais à distance.
A ce jour, je n’ai pas encore identifié d’initiatives de ce type. Avis aux amateurs ?
Diffusion en différé, mais organisée lors d’un événement.
En Australie, la société Jumpgate VR a organisé avec le Seraphim Trio (musique classique) des concerts intitulés The Beethoven Trios, pendant lesquels, en complément du concert vécu en chair et en os, les spectateurs pouvaient regarder un film en réalité virtuelle montrant le Trio jouer du Beethoven. Les deux types d’expérience réunies en quelque sorte.
C’est un peu le même principe, mais dans un tout autre contexte, que proposent Samsung et le groupe Biffy Clyro avec le dispositif Hypercube.
Il s’agit d’un bâtiment cubique pouvant contenir 50 personnes à la fois. Ces derniers sont munis d’un casque Samsung Gear VR grâce auquel ils peuvent regarder un clip de Biffy Clyro spécialement réalisé pour être filmé en vidéo à 360°. Cube géant transparent suspendu en l’air et feux d’artifice : le clip a été réalisé à grand renfort d’effets spéciaux.
Le principe de ce dispositif est d’être présent sur les lieux de concert du groupe. Là encore, les deux expériences sont réunies : assister au concert du groupe et regarder une vidéo d’un autre concert en réalité virtuelle.
Ci-dessous : les visiteurs à l’intérieur de l’Hypercube.
Voilà pour ce petit tour d’horizon de quelques tentatives de proposer des expériences inédites de réalité virtuelle liées aux spectacles. Si ce domaine peut paraître assez difficile à appréhender par la réalité virtuelle, je trouve que c’est là malgré tout un beau challenge, et qu’il donnera peut-être lieu dans les années à venir à des projets et des expériences particulièrement originales et intéressantes.
En attendant, si vous avez du temps devant vous (ça dure 1h25), vous pouver regader ce débat filmé à la Gaité Lyrique et intitulé Comment la réalité virtuelle peut-elle augmenter l’expérience culturelle ?
Ainsi s’achève cette série de 5 articles sur la manière dont la réalité virtuelle modifie les industries du divertissement. Je le compléterai certainement dans les jours et semaines à venir par d’autres articles sur des sujets très proches.